Bulletin mensuel de la Guilde
Présentation sommaire
Le Bulletin mensuel de la Guilde (1936-1977) est d’abord un catalogue mensuel, qui assure le lien entre les éditions de la Guilde, ses abonnés, et, plus tard, les auteurs eux-mêmes. Il permet de présenter les différentes publications de la Guilde, que les abonnés peuvent acquérir en sus du volume qu’ils reçoivent tous les trois mois avec le Bulletin, mais également d’évoquer l’actualité littéraire par le biais d’articles informatifs et critiques, ainsi que d’extraits de textes à paraître. Le Bulletin participe ainsi aux buts recherchés par la Guilde, à savoir rendre la culture accessible à tous et produire des livres de qualité en renonçant à tout profit. Porte-parole du premier club de livres francophone, chaque numéro suscite un engouement de plus en plus fort dans la société d’après-guerre, où la soif de culture et le besoin d’une appartenance à un groupe se renforcent, ce qui fait rapidement de la Guilde une communauté romande reconnue et incontournable.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Création
À la lecture d’un exemplaire particulièrement usé et de mauvaise facture de Ma Vie d’Enfant (Maxime Gorki), Albert Mermoud, directeur commercial suisse travaillant à Angers, a l’idée, en 1935, de fonder sa propre maison d’édition afin de rendre accessible au plus grand nombre des ouvrages de qualité. Suivant son impulsion, Mermoud, de retour en Suisse, ne tarde pas à réaliser son projet et contacte, dès octobre 1935, Charles-Ferdinand Ramuz pour bénéficier de son appui. L’écrivain vaudois accepte, mais pose deux conditions : que Mermoud ne sollicite pas son soutien financier et que l’édition ne subisse aucune influence d’ordre politique ou économique. Durant les mois de janvier-février 1936, Albert Mermoud travaille à la réalisation de son entreprise, que ce soit en trouvant des imprimeurs disposés à lui accorder leur confiance (MM. Guggi et Rosselet des Imprimeries Populaires) ou en constituant un capital social, financé par dix associés, ayant chacun souscrit une action de 50 francs.
La maison d’édition s’établit donc à Lausanne, à l’avenue de Beaulieu 13, où sont employés une secrétaire et un jeune emballeur, Georges Borgeaud, qui deviendra par la suite un écrivain reconnu dans le milieu littéraire romand. La Guilde, se développant rapidement, est contrainte de déménager dès décembre 1936 et s’installe à la rue du Lion d’Or 1.
Si les éditions de la Guilde entrent officiellement en activité dès le 1er avril 1936, le Bulletin mensuel de la Guilde du Livre – qui s’inspire largement du bulletin de la Bücherguilde Gutenberg installée à Zürich depuis 1927 – est lui envoyé gratuitement un mois avant, en mars 1936. 10'000 exemplaires sont ainsi distribués à un public susceptible de souscrire un abonnement (professeurs, fonctionnaires, instituteurs, hommes d’Église, etc.), une démarche couronnée de succès puisque, à la fin de 1937, la Guilde réunit près de 4'000 membres.
Ce premier numéro présente les différents comités constitutifs de la Guilde et contient également un manifeste de la main d’Albert Mermoud exposant les intentions et le fonctionnement de la Guilde. Ce premier Bulletin ne manque pas de mettre Ramuz à l’honneur, puisqu’il lui est entièrement consacré : en plus de proposer un extrait de son ouvrage Derborence, qui sera le premier à être publié aux éditions de la Guilde, il contient également une critique littéraire de Derborence ainsi que plusieurs pages concernant son écriture, son travail et le débat que celui-ci suscite.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Equipe
La Guilde est fondée par Albert Mermoud, qui sera tout au long de l’existence du Bulletin le rédacteur en chef et la figure centrale autour de laquelle évoluent les différents collaborateurs de la Guilde. Parmi les écrivains qui en font partie, certains noms, déjà prestigieux ou de débutants, reviennent fréquemment, à l’exemple de Dominique Aury, Gilbert Cesbron ou Jacques Mercanton. Le Bulletin comme la Guilde réunissent ainsi, grâce au talent et à la sympathie de Mermoud, aussi bien des auteurs et auteures romands (Alice Rivaz, Corinna Bille, Catherine Colomb, Denis de Rougemont, etc.) que des plumes françaises, souvent renommées (par exemple Edmond Jaloux, Jean Paulhan ou Robert Desnos). De plus, un Comité littéraire chargé du choix des ouvrages à publier par les éditions de la Guilde se forme en mars 1936 et se compose, en plus d’Albert Mermoud, de l’éditeur Henry-Louis Mermod et des auteurs vaudois C. F. Ramuz et Gustave Roud, figures importantes du champ littéraire romand. De 1936 à 1966, s’ajoutent au Comité littéraire ainsi qu’au Jury du Prix de la Guilde, institué dès 1941 (et attribué jusqu’en 1965), d’autres auteurs et gens de lettres réputés comme Georges Anex, Dominique Aury, Charles Baudouin, Paul Budry, Jacques Chenevière, Edmond Jaloux, Jean Marteau, Jacques Mercanton, Guy de Pourtalès et Marcel Raymond. Ces différents membres partagent avec Albert Mermoud l’amour de la belle littérature et la volonté de la rendre accessible au plus grand nombre. Albert Mermoud accorde ainsi une grande attention à la qualité esthétique, non seulement des ouvrages publiés par la Guilde, mais également du Bulletin envoyé chaque mois aux abonnés.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Etapes
Aspects formels
Le Bulletin mensuel de la Guilde du livre se présente d’abord sous la forme de petits cahiers au format 24 cm x 16 cm, qui comptent entre 16 et 32 pages en 1945, contre 36 à 52 en 1960. Le format du Bulletin change une première fois en 1972 (22 cm x 16 cm), puis une seconde fois en 1974 (21 cm x 16 cm). Un troisième changement de format a lieu à partir du numéro d’octobre 1975, qui fait du Bulletin, jusqu’à la fin de sa publication, une revue au format A5 (21 cm x 15 cm).
Chaque Bulletin comporte une page de titre, sur laquelle se trouvent le titre et la référence du numéro ainsi qu’un sous-titre (jusqu’en juillet 1954) et une photographie grand format en noir et blanc, excepté pour les numéros de décembre dès 1954, pour lesquels toute la couverture est en couleur. À partir du numéro d’octobre 1975 (compris), un pourtour de couleur encadre la page de titre (d’abord brun clair, puis de diverses couleurs au fil des numéros). La numérotation (qui se situe aux extrémités extérieures et inférieures des pages) se fait d’année en année. Le papier utilisé est un papier bible, très fin, souple et doux au toucher, qui résiste bien à l’épreuve du temps.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Positions
Les numéros du Bulletin se composent principalement de textes critiques et d’extraits de textes littéraires, que ce soit des nouvelles, de la poésie ou encore des chansons, qui sont parfois accompagnés d’une ou de plusieurs illustrations manuscrites ou de photographies. Les mensuels contiennent également des articles destinés à l’information et à l’élargissement culturel du lecteur, qui traitent par exemple d’histoire, d’art, de musique ou encore de cinéma. Des chronologies de vie d’auteurs (tels que William Shakespeare ou Paul Morand) viennent compléter l’ensemble, ainsi que des reproductions de textes manuscrits. S’ajoute ponctuellement à cela de la publicité, qui présente les diverses collections de la Guilde, vante des ouvrages précis ou annonce des événements culturels, tels que des expositions ou des conférences en présence d’auteurs. Dans les dernières pages de certains numéros, une rubrique intitulée Vie littéraire recense quelques actualités littéraires de l’espace francophone.
Au fil des numéros apparaissent des articles, des récits et des photos qui font découvrir au lecteur un peu de la culture de pays non européens, tels que le Japon, l’Égypte ou la Chine. En outre, les mois d’été (juin, juillet, août), plusieurs ouvrages font l’objet de publicité en vue des vacances estivales. Le phénomène est identique pour la rentrée (octobre), où une sélection d’auteurs est proposée à l’achat.
À noter que les contenus détaillés ci-dessus ne sont pas tous systématiquement présents dans chacun des numéros, et que le Bulletin ne conserve pas la même structure d’un numéro à l’autre, même si la nature du contenu reste identique. Le seul élément qui figure constamment dans chaque Bulletin est le catalogue des différents ouvrages proposés aux abonnés.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Financement
La Guilde du Livre voit le jour à Lausanne le 1er avril 1936. Son conseil d’administration se compose de dix personnes, qui constituent juridiquement les seuls actionnaires de la société, en souscrivant une part de 50 francs pour constituer le capital initial, qui s’élève donc à 500 francs. À ceux-ci s’ajoute un crédit de 20’000 francs octroyé par MM. Guggi et Rosselet des Imprimeries Populaires, qui va permettre à Albert Mermoud de faire tirer les 10’000 premiers exemplaires du Bulletin. Les abonnements resteront l’unique source de financement de la Guilde, qui ne recevra aucune aide d’institution publique.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Rayonnement
Même si le Bulletin et les éditions de la Guilde sont basés en Suisse, et plus particulièrement à Lausanne, le Bulletin est distribué dans un grand nombre d’autres pays, aussi bien francophones que non francophones. En effet, au cours des années, l’activité de la Guilde s’étend puisqu’elle propose, en plus de son offre suisse, l’achat de livres édités par ses soins aux résidents d’autres pays, à savoir dans l’ordre de leur apparition chronologique : la France (1948), la Belgique (1948), le Luxembourg (1948), les États-Unis (1948), le Canada (1951), l’Angleterre (1953), le Portugal (1954), l’Espagne (1954), les Pays-Bas (1955), la Zone de Tanger (1955), la Tunisie (1957), l’Algérie (1958), la Grèce (1958), l’Italie (1959) et le Maroc (1961). La Guilde va de plus ouvrir des boutiques-relais à Paris, Bruxelles, Lisbonne, Montréal, Milan, Florence et Turin et créer des cellules locales confiées à des hommes de confiance dont les tâches sont la prise en charge des abonnés et le recrutement de nouveaux membres. La communauté des Guildiens s’accroît au fil du temps, et le nombre d’exemplaires des Bulletins augmente, passant de 10'000 exemplaires en décembre 1940 à 25'000 en décembre 1944, puis à 50'000 en décembre 1950, pour atteindre les 100'000 exemplaires en décembre 1960.
Marion Curchod et Victorine Sieber
Textes programmatiques
Ce qu’est la Guilde du Livre
Guilde… ce mot vous dit-il quelque chose ? Nous vous demandons de faire un effort de mémoire et sans doute retrouverez-vous alors, tout au fond de vos souvenirs, l’écho lointain d’une de vos leçons d’histoire, au temps où, écoliers, votre maître vous entretenait des vieilles communautés de la Flandre du Moyen Age ou plus précisément, par exemple, de cette fameuse « Hanse de la marchandise de l’eau », dont les statuts savoureux vous avaient diverti un instant.
Les « Guildes » ont toujours été étroitement liées aux autres corporations médiévales et poursuivaient le même but. Le nom, qui est d’origine celtique et dont l’usage s’est répandu jusqu’en Angleterre, sert à désigner précisément un groupe d’hommes de même métier liés les uns aux autres par une règle commune, travaillant en commun à la réalisation d’un même idéal et consacrant les meilleures années de leur vie à acquérir la « maîtrise », après avoir produit le « chef-d’œuvre », matérialisation de leur savoir-faire, de leur amour de la « belle ouvrage ».
Et ces artisans, ces maîtres, trouvaient le temps de cultiver l’amitié, l’entr’aide professionnelle, la mutualité ; ils s’unissaient en associations qui étaient comme une grand famille.
Il est inutile d’insister ici sur tout ce que ce mot de Guilde implique de collaboration, de désir et de recherches de perfection.
Mais il n’est pas indifférent de proclamer qu’il y a tout cela dans notre nom, tout cela aussi dans notre action.
La Guilde du Livre n’est pas autre chose qu’une communauté du Livre, une grande famille groupant lecteurs et auteurs dans un même effort d’expansion culturelle et dans un même amour de la belle édition.
Ce que nous voulons…
C’est vaincre l’indifférence des uns, la paresse des autres pour les choses de l’esprit. C’est remettre la lecture à sa véritable place, parmi les innombrables préoccupations d’un public que la T.S.F., la presse dite d’information ou simplement le bruit de l’agitation empêche souvent, sans qu’il s’en doute, de distinguer quels sont ses besoins essentiels. C’est redonner le goût du beau livre, la joie de la belle édition. Au cours de ces deux dernières décades, les éditeurs ont travaillé contre eux-mêmes avec un ensemble étonnant, dépréciant leur métier par une production de plus en plus négligée, vulgaire, économisant sur tout : composition, impression, papier.
Le dommage serait moins déplorable, s’il n’avait pas atteint le lecteur à son tour. On lit peu, on lit mal. On s’en excuse vis-à-vis de soi-même en disant « je n’ai pas le temps »… Epithète trop commode. On invoque le sacrifice pécuniaire que nécessite l’achat d’un livre, tandis que par ailleurs on consacre une partie considérable de ses ressources au confort matériel, négligeant toujours plus le « confort intellectuel ». On préfère meubler son appartement jusqu’à l’encombrement, plutôt que de meubler son esprit.
On ne saurait demeurer indifférent à cette menace de décadence en face de la valeur inestimable que représente le livre. Elément primordial de la culture de l’esprit, il nous met en contact direct avec toutes les grandes pensées susceptibles d’enrichir notre existence, d’éveiller en nous les valeurs qui cherchent à s’exprimer, de répondre à notre besoin de comprendre et même de nous aider à supporter maintes difficultés matérielles, en donnant à la vie un sens supérieur.
C’est pourquoi le beau, le bon livre doit pénétrer partout. C’est pourquoi nous nous adressons aussi bien aux intellectuels qu’aux bourgeois et aux paysans qu’aux ouvriers, à tous ceux dont la vie matérielle mérite la compensation des joies qu’apporte la lecture. C’est pourquoi aussi notre mouvement se situe en dehors de toute méthode commerciale ordinaire. Le lecteur verra plus loin que nous nous attachons à appliquer une formule aussi éloignée qu’il est possible des modes de production où tout doit « rapporter ».
D’autre part, nous prenons comme consigne de ne nous laisser influencer par aucune considération politique. Nous savons que notre petite Suisse romande est compartimentée en clans politiques et confessionnels. Nous ne participons à aucune de ces luttes, si éloignées de notre esprit. Plaçant au contraire notre effort au-dessus de celles-ci, nous ne visons qu’à donner le plus grand rayonnement possible aux œuvres de valeur, tant il est vrai qu’un protestant convaincu peut apprécier une œuvre de Mauriac, qu’un industriel peut tirer profit d’un roman de Cholokhov, un ouvrier, d’un livre de Bainville. D’ailleurs (à moins d’un chef-d’œuvre exceptionnel), nous écartons systématiquement de notre programme la littérature de tendance.
Pour ce qui concerne le choix de ses éditions, la Guilde s’est entourée des conseillers les plus autorisés ; son comité littéraire vous offrira des œuvres, le plus souvent inédites, choisies dans la production mondiale sans égard aux moyens publicitaires que le commerce met à la disposition de certains marchands de littérature. Chaque mois, le Comité de la Guilde dépouille inlassablement des manuscrits, pour ne retenir que les écrits de premier plan.
Nous avons réussi à nous attacher les services des meilleurs techniciens actuels de l’édition, amoureux de leur métier, véritables compagnons de la Guilde qui mettront leur talent à satisfaire votre goût de la bibliophilie. La Guilde se refuse à éditer le livre broché dont on a suffisamment de raisons de se méfier. Seul entre en ligne de compte le livre relié qui n’empruntera d’ailleurs à la reliure classique que la bienfacture, et cherchera par ailleurs à répondre aux nécessités et au goût modernes dans ce qu’ils ont de plus sûr et de plus durable.
Réalisation pratique
Comme nous l’avons dit plus haut, notre entreprise ne poursuit aucun but commercial. Elle présente cette particularité qui est une garantie de succès valable pour tous les pays, sous tous les climats : elle offre une marchandise au prix de revient. Toute notre production est donc répartie au prix coûtant dans notre communauté. Notre administration, dont les ressources sont consitutées [sic] par les cotisations des membres de la Guilde, ne tolère aucun bénéfice, ceux-ci étant, le cas échéant, répartis sous forme d’éditions supplémentaires gratuites, par exemple.
Montant des cotisations
Chacun peut devenir membre de la Guilde du Livre, moyennant une finance d’entrée de 70 ct., suivie de cotisations mensuelles de 1 fr. 35 (ou trimestrielle de 4 fr.). En contre-partie, il aura droit chaque mois au Bulletin littéraire illustré de la Guilde et, en outre, tous les trois mois, à un volume relié (de valeur marchande bien supérieure à ces chiffres). Notre production marchant à la cadence d’un livre tous les deux mois, nos membres auront très rapidement la faculté de choisir leur volume.
En plus des livres auxquels il a droit, chaque membre de la Guilde est libre d’acheter, au prix de revient, des livres de son choix.
Au reste, il vous suffira de remplir le formulaire ci-joint et de nous le faire parvenir en même temps que votre cotisation d’entrée pour devenir l’un des membres-propriétaires de la Guilde du Livre.
Premières publications
A tout seigneur, tout honneur. Nous faisons nos premiers pas sous l’égide de C.-F. Ramuz, qui fut l’un des plus contestés de nos auteurs romands et auquel la critique a fini par rendre pleinement justice. Nous donnons plus loin un extrait de notre première publication, Derborence, qui vous apportera le reflet de la maîtrise de cet incomparable, de ce très grand poète.
Par la suite, nous envisageons l’édition d’œuvres inédites d’Alphonse de Chateaubriant, André Gide, Jean Giono, Henri Pourrat, etc., et la réédition d’ouvrages importants, épuisés ou peu connus, ou dont le contenu public que nous cherchons à atteindre, comme Enfance et Adolescence, de Tolstoï, les Mémoires, de Mistral, Ma Vie d’Enfant, de Gorki.
Ces différents projets se préciseront peu à peu, mais nous tenons à insister encore sur notre but qui est de mettre à la disposition de tous un moyen peu onéreux d’acquérir des livres de valeur (contenant et contenu). Nous sommes convaincus qu’un effort tenace, soutenu par les appuis sur lesquels nous sommes en droit de compter, parviendra à secouer l’indifférence que nous avons dénoncée et que chacun, à part soi, condamne sévèrement.
Que s’unissent en un vaste groupement tous ceux qui voient avec joie le livre échapper à l’emprise commerciale pour devenir un véritable pain quotidien et notre petite Suisse romande, à l’instar d’autres régions[1], pourra s’enorgueillir d’une réussite exceptionnelle sur un plan exceptionnel : le plan spirituel.
(Bulletin de mars 1936)
[1] Nos confrères tchécoslovaques ont mis en marche, avec grand succès, un mouvement identique dans une province pourtant plus exiguë que la nôtre.
Avis contemporains
La création de la Guilde semble accueillie plutôt favorablement par la presse romande, en témoigne par exemple un article paru dans le Journal d’Yverdon du 25 mars 1936 : « LIVRES ET REVUES Une initiative intéressante. — Nous signalons à l’attention de nos lecteurs une innovation intéressante et qui est appelée à donner au mouvement culturel de la Suisse romande, une impulsion nouvelle. La guilde du livre qui vient de se fonder à Lausanne (13, avenue de Beaulieu) a pour but de lutter contre la médiocrité littéraire, la vulgarité de l’édition, et du goût en général, en offrant à tous ceux qui font partie de cette véritable communauté de la bonne lecture, un bulletin littéraire mensuel illustré, de haute tenue, et en outre tous les trois mois, un volume relié avec goût. Cette association qui a réussi à s'attacher les services des meilleurs techniciens, de l’édition, et dont le conseiller littéraire n’est autre que C.-F. Ramuz, se place en dehors de toute organisation commerciale. Elle ne met pas en vente ses publications, qui sont en général des volumes inédits. Ses ressources sont constituées par les modiques cotisations de ses membres qui reçoivent au prix de revient toute la production parmi laquelle nous croyons pou voir distinguer Ramuz, Giono, Gorki, Pourrai, Chateaubriand, etc. Ce mouvement, qui mérite d’être appuyé, est appelé au plus brillant avenir pour peu que le public y apporte quelque intérêt. »
En 1956, la Guilde fête ses vingt ans, et le Journal d’Yverdon publie à cette occasion un article qui détaille les événements prévus pour cet anniversaire, souligne la valeur et la cohésion des collaborateurs de la Guilde et retrace l’histoire du club littéraire de manière élogieuse : « J’aurais d’abord dû vous dire pour commencer que ce tourbillon littéraire marque le vingtième anniversaire de la Guilde du Livre, et que nous sommes dans le jardin d’Albert Mermoud — son directeur, “ ce prince dont la Guilde est le royaume ”. Bien des gens ont marché sur ses plates-bandes depuis les années du début, qu’il évoque un instant entre deux “ cher ami ! Comme c’est gentil ! ”. Un petit bureau, le droit de rééditer un Ramuz, un crédit d’imprimerie : ainsi débuta l’entreprise qui a rempli depuis tant de bibliothèques romandes ; mieux encore, qui a fait surgir des rayons à livres dans bien des intérieurs. Après quelques années d’équilibrisme financier, la Guilde a trouvé son assise, acquis sa maison, sans cesser de “ réinvestir ” ses bénéfices comme le souligne volontiers Albert Mermoud. Au service de l’imagination et du goût, l’argent recrée sans cesse de nouveaux chefs-d’œuvre, des collections inédites, des réalisations rares. »
Enfin, en 1978, alors que la Guilde s’apprête à être rachetée par France Loisirs, paraît dans 24 heures du 31 janvier 1978 un article qui prend la forme d’un hommage à Albert Mermoud, dans lequel l’homme comme son travail pour la Guilde sont loués avec force. Cet article déplore en outre la disparition de la Guilde, entreprise profondément vaudoise, du paysage de la littérature romande au profit d’un grand groupe éditorial français : « La Guilde du Livre a vécu. Laissons pour tout à l'heure les explications et les déplorations. Un homme mérite aujourd'hui le salut, l'admiration, la reconnaissance pour le souffle qu'il a fait passer sur Lausanne pendant quarante et un ans : Albert Mermoud. Des millions de volumes, dont il avait personnellement choisi les titres dans la littérature universelle, ou chez les auteurs français, ses amis, ou dans l'œuvre d'écrivains d'ici, ont trouvé leur chemin, bien conçus, élégamment imprimés, nets, sans tralala ni tricherie, jusqu'aux plus humbles, aux plus lointaines bibliothèques familiales. [...] Ouvrez le catalogue, feuilletez les livres de quarante années, palpez le papier, attardez-vous dans les préfaces, sur les illustrations, considérez le Bulletin, et saluez l'œuvre d'un homme, son extraordinaire ténacité, ses dons esthétiques, sa tenue. [...] En vous rendant, ici hommage, cher Albert Mermoud, je voudrais m'interroger avec vous, et du même coup avec Pierre-B. de Muralt, le fondateur révoqué de Rencontre, sur ces deux grandes réussites conclues par deux échecs. J'avance un diagnostic : le mal français ! »
Janvier-décembre 1945 : 216 pages, moyenne: 16 pages
Janvier-décembre 1960 : 452 pages, moyenne: 36 pages.
Janvier-décembre 1977 : 208 pages, moyenne: 17 pages.
- ALBERT MERMOUD (1905 - 1997)
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Albert Mermoud est né le 24 mai 1905 à Neuchâtel et est mort le 18 mars 1997 à Lausanne. Après l’obtention d’une licence en droit et en sciences économiques à l’Université de Lausanne, il travaille comme directeur commercial à Angers de 1930 à 1936. À cette date, il retourne à Lausanne et fonde la Guilde du Livre, une maison d’édition vendant ses livres par correspondance, sur abonnement. Son entreprise lui permet de promouvoir la culture, la littérature, l’histoire et l’art en Suisse romande. En 1948, Mermoud prend en outre part à la fondation de la Cinémathèque suisse, où il est d’abord membre du Comité de direction avant de devenir co-vice-président (avec Jean-Pierre Vouga) en janvier 1954, puis président en 1968. Il occupera cette fonction jusqu’en 1989. Entre 1953 et 1962, il siège également au Conseil de Fondation de Pro Helvetia.
- AURY DOMINIQUE (1907 - 1998)
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Dominique Aury est née le 23 septembre 1907 à Rochefort-sur-Mer sous le nom d’Anne-Cécile Desclos, et est morte le 27 avril 1998 à Corbeil-Essonne. Femme de lettres française, auteure d’essais, de préfaces, de traductions et de poèmes, elle publiera également sous le pseudonyme de Pauline Réage. Ancienne élève de la classe préparatoire littéraire du lycée Condorcet (Paris), elle obtient une licence d’anglais à la Sorbonne en 1929. Durant dix ans, elle sera l’instructor à Paris du Teachers College de l’université de Columbia, tout en étant parallèlement, dès 1933, chroniqueuse pour L’insurgé et Combat. Dès 1942, elle est employée clandestinement aux Lettres françaises (un mensuel du Front national actif pendant l’Occupation), avant d’y être officiellement nommée journaliste en 1945. Durant un an (1945-1946), elle est rédactrice de L’Arche, et des Cahiers de la Pléiade jusqu’en 1952. Elle devient en outre, entre 1949 et 1952, directrice de collection à la Guilde du Livre. Entre 1950 et 1952, elle est membre du comité de lecture Gallimard, maison d’édition dans laquelle elle jouera un rôle prépondérant. Elle est également l’adjointe, entre 1953 et 1977, de la direction de la seconde NRF (Nouvelle Revue Française). Ces différentes activités vont notamment lui permettre de devenir, dès 1974, membre du Conseil supérieur des Lettres, instance placée sous la direction du ministre de l’Éducatio
- PORQUEROL ELISABETH (1905 - 2008)
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Élisabeth Porquerol est née en 1905 à Nîmes, sous le nom de Pourcherol, et est décédée en 2008. À 23 ans, elle propose le récit d’un voyage qu’elle a réalisé à pied de Paris à Andorre à Notre Temps (une revue mensuelle française) et commence sa carrière de journaliste. Elle collabore entre autres à L’intransigeant, au Journal de la femme ou à Comœdia, pour lesquels elle mène et rédige des enquêtes sur des sujets variés.
Elle se lie d’amitié avec l’auteur Louis-Ferdinand Céline après avoir écrit dans Le Crapouillot (un périodique satirique français) un article élogieux sur Voyage au bout de la nuit. Elle est également l’amie de Dominique Aury, de Pierre Herbart (romancier et essayiste) et de Jean Paulhan (écrivain, critique littéraire et éditeur français). De 1957 à 1977, elle devient rédactrice en chef et principale auteure du Bulletin de la Guilde du Livre, revue dans laquelle elle écrira sous six pseudonymes différents.
- Charles-Ferdinand RAMUZ (1878 - 1947)
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Né à Lausanne en 1878 d’une famille de petits commerçants, Charles-Ferdinand Ramuz obtient une licence ès Lettres de l’Université de Lausanne en 1900 et part pour Paris. Il s’y adonne à l’écriture mais doit revenir en Suisse en automne 1901 pour raisons financières. Il enseigne alors au Collège d’Aubonne durant quelques mois, avant de repartir à Paris en 1902. Il fera dès lors de nombreux aller-retour entre la capitale française et la Suisse, écrivant à Paris, avant de revenir définitivement à Lausanne en 1914. Son premier recueil de poèmes « Petit Village » publié à Genève en 1903 est bien accueillit par la critique. Il participe au recueil collectif « Les Pénates d’Argile » en 1904. Son premier roman « Aline » est publié en 1905 chez Perrin à Paris. Nominé pour le Goncourt en 1907 pour son roman « Les circonstances de la vie », il se forge alors une réputation d’écrivain vaudois de langue française. Sa participation à la « Voile latine » reste confidentielle, alors qu’il sera le principale auteur de la revue qu’il co-fonde en 1914 avec Edmond Gillard et Paul Budry, les « Cahiers vaudois ». Considéré dès lors comme l’écrivain majeur de sa génération, il publie de nombreux romans : « Histoire du soldat » (1918), « Le règne de l’Esprit malin » (1917), « Présence de la mort » (1922). Après une période de vaches maigres durant l’après-guerre, il est publié chez Grasset avec « La Grande Peur dans la montagne » (1926), « Farinet » (1932) ou « Derborence » (1934) et obtient le grand prix Schiller en 1936.
Emilie Prêtre & Paulo Wirz
- Gustave ROUD (1897 - 1976)
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né le 20 avril 1897 à Saint-Légier et est décédé le 10 novembre 1976 à Moudon. Toute sa vie, il a vécu à Carrouge avec sa sœur. Il suit, durant sa scolarité, les cours de l’écrivain romand Edmond Gilliard, avant de poursuivre ses études à l’Université de Lausanne où il obtient une licence ès Lettres. Poète, il vit de sa plume et traduit plusieurs poèmes des collaborateurs étrangers des Cahiers vaudois et de la Revue romande. Il participe en outre activement au journal Aujourd’hui, ainsi qu’aux éditions de la Guilde. Il consacre son temps à la poésie et à la traduction des romantiques allemands, tout en pratiquant également la photographie. Il publie de nombreux recueils et entretient des amitiés avec de nombreux artistes, poètes, hommes de lettres ou musiciens vaudois, à l’exemple de l’écrivain Charles-Ferdinand Ramuz, du chef d’orchestre Ernest Ansermet, du peintre René Auberjonois ou encore de l’écrivain Maurice Chappaz. Ses poèmes influenceront fortement un nombre considérable de poètes contemporains (Philippe Jaccottet, Jacques Chessex ou Anne Perrier notamment).
Références bibliographiques de la littérature secondaire
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, Le livre à Lausanne. Cinq siècles d’édition et d’imprimerie : 1493-1993 , Lausanne : Payot, 1993
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, La Guilde du Livre. Les albums photographiques. 1941-1977 , Paris : Ed. Les Yeux ouverts, 2012
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, La Guilde du Livre. Les albums photographiques. 1941-1977 , Paris : Ed. Les Yeux ouverts, 2012
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, La Guilde du Livre. Les albums photographiques. 1941-1977, Paris : Éditions Les Yeux ouverts, 2012. , Paris : Ed. Les Yeux ouverts, 2012
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, Lausanne, le temps des audaces : 1945-1955 , Lausanne : Payot, 1993
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, Albert Mermoud, la Guilde du livre : une histoire d’amour , Genève : Slatkine, 1987
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, Albert Mermoud, la Guilde du livre : une histoire d’amour , Genève : Slatkine, 1987
-
, Lectures et Figures. Dictionnaire des auteurs de la Guilde du livre , Genève : Slatkine, 1995