Revues Culturelles Suisses

Revue

Suisse romande

Présentation sommaire

Revue littéraire axée sur la production artistique, Suisse romande (1937-1939) succède à Présence (1932-1936) dans sa mission de promouvoir les lettres romandes et d’assurer l’existence d’une plateforme d’expression pour les auteurs émergents. Autour du périodique dirigé par Daniel Simond gravitent principalement des bellettriens liés au réseau d’Edmond Gilliard, véritable maître à penser pour cette jeune génération d’intellectuels progressistes nés au tournant du siècle. Empreinte d’humanisme, Suisse romande propose des textes de création et de réflexion et se profile comme revue anticonformiste, opposée aux idées et canons esthétiques dominants. On y privilégie les débats esthétiques et éthiques de fond, tout en laissant de la place à l’actualité politique. Ballottée entre une nécessité consensuelle et la volonté de certains collaborateurs de faire entendre une voix plus radicale, la revue peine à dessiner une ligne éditoriale claire pendant les deux ans de son existence. De graves difficultés économiques la poussent à s’associer à Formes et Couleurs en 1940. Dès 1941, Suisse romande est absorbée par Suisse contemporaine (1941-1949).


Elisa Conti

Création

La création de Suisse romande est intimement liée à la figure d’Edmond Gilliard. Personnage central de la vie culturelle romande de la première moitié du 20e siècle, son action se caractérise par une activité intellectuelle éclectique et par un positionnement humaniste non conformiste en forte opposition avec les institutions établies. Entre les années 1920 et 1950, Gilliard sert de modèle intellectuel de gauche pour une partie des jeunes générations progressistes, un rôle novateur pour le contexte suisse de cette période. Au début des années 1930, se forme autour de lui un réseau constitué de ses anciens élèves lycéens, fortement marqués par leur professeur. Ce réseau aux nombreuses ramifications fonctionne comme un vecteur de diffusion de la pensée gilliardienne et contribue à la création d’un pôle littéraire restreint aux marges de la production artistique officielle. L’action du groupe de Gilliard se traduit principalement par la création de périodiques littéraires pendant l’entre-deux-guerres et la guerre. Ces publications sont soutenues par une double mission. D’une part, elles défendent et transmettent la pensée de Gilliard en lui ouvrant leurs pages. D’autre part, elles encouragent la création individuelle et autonome d’écrivains et le développement de positions sur le rôle et la nature de l’art et les sujets d’actualité. Suisse romande s’inscrit et doit se comprendre dans ce contexte. La revue naît en octobre 1937 sous l’impulsion des jeunes gilliardiens lausannois qui avaient collaboré avec Présence avant la scission de son comité. Avec la disparition de Présence, se pose la question de reconstituer une plateforme d’expression et de débat pour promouvoir les lettres romandes. Suisse romande défend à la fois l’unité et la diversité de la littérature romande en rassemblant les voix d’écrivains établis et émergents. Fidèle à la pensée humaniste de Gilliard, le directeur Daniel Simond prône un positionnement antidogmatique par le dépassement des frontières de partis, d’idéologies, de convictions et de traditions qui enferment et limitent l’être humain. Il propose de se concentrer moins sur ce qui sépare que sur ce qui rassemble, à savoir une nature humaine universelle qui éprouve les mêmes besoins, subit les mêmes difficultés et parle la même langue. Ainsi, Suisse romande se présente naturellement comme un lieu privilégié d’échange et de convergence où des positions opposées peuvent cohabiter pacifiquement.


Elisa Conti

Equipe

Suisse romande hérite des principaux collaborateurs de Présence et s’inscrit ainsi dans la sphère d’influence de Gilliard. Daniel Simond en est l’unique directeur et aucun comité de rédaction n’est constitué, ceci pour éviter que les luttes intestines au sein de l’équipe et les divergences de points de vue n’entraînent la disparition de la revue, comme cela a été le cas pour Présence. Simond est néanmoins secondé dans son engagement par Alfred Wild et Pierre Beausire, qui le soutiennent dans ses choix éditoriaux et dans la recherche de collaborations. Les trois hommes, tous anciens élèves du charismatique professeur Gilliard, ont en commun un parcours de bellettriens et des ambitions littéraires. Liés par une profonde amitié, ils forment le socle de base de la revue. Autour de ce trio central, une pléiade de contributeurs «gilliardiens» anime les pages de Suisse romande par un apport régulier de textes de création et de réflexion. A leurs côtés, Albert Béguin et Georges Nicole sont les principaux contributeurs des chroniques de critique littéraire respectivement sur le roman et la poésie. Gustave Roud occupe la rubrique «Saisons» avec des textes de prose. La revue peut compter sur la contribution sporadique d’auteurs à fort capital symbolique tels que Charles Ferdinand Ramuz, René Morax, Pierre-Louis Matthey, tous anciens collaborateurs des fameux Cahier Vaudois. De son côté, Edmond Gilliard, lui aussi ancien collaborateur des Cahiers Vaudois, publie tous les deux mois une chronique de réflexions personnelles, «Boutures», centrée sur son rapport au pays d’origine, la Suisse. Les auteurs émergents tiennent une place également importante: Corinna Bille, Jean Hercourt, Edmond-Henri Crisinel, Léon Bopp, Jean Cuttat, Maurice Chappaz ou Charles-François Landry.


Elisa Conti

Etapes

L’aventure de Suisse romande est éphémère et suit un cours déclinant. Après un lancement encourageant en octobre 1937, la revue est rapidement rattrapée par des problèmes d’ordre financier. Les derniers mois sont caractérisés par une diminution de la qualité des contenus et par la difficulté à renouveler les collaborations. Daniel Simond n’a d’autre choix que de s’associer avec Formes et couleurs en janvier 1940. La collaboration dure jusqu’à la fin de la même année, après quoi Suisse romande est absorbé par Suisse contemporaine, dirigée par René Bovard et où Daniel Simond s’occupe de la partie littéraire. Les raisons de cet échec sont multiples. Tout d’abord, le contexte historique à la veille de la Deuxième guerre mondiale ne favorise pas l’épanouissement d’une revue littéraire qui privilégie une réflexion pacifiste de fond plutôt qu’une posture engagée et militante. Par ailleurs, le lancement d’autres revues, plus profilées, Vie, Art, Cité (1938-1952) et La Semaine (1938-1939), représente une concurrence nouvelle. Plus structurellement, le destin de Suisse romande est similaire à celui de bien d’autres périodiques littéraires romands de ce temps qui peinent à survivre pour des raisons plusieurs fois dénoncées: difficulté de trouver et fidéliser un lectorat, manque d’émulation dans un milieu trop restreint, insensibilité à l’art et déficit culturel de la part du public romand, statut de minorité francophone dans un pays germanophone.


Elisa Conti

Aspects formels

Suisse romande est une publication sobre en format de poche, d’environ 40-60 pages par livraison. L’aspect et la structure restent inchangés du début à la fin, garantissant à la revue stabilité et continuité formelles. La page de couverture se caractérise par son austérité et sa simplicité: sur un fond neutre de page blanche, apparaissent uniquement le titre et sous-titre, ainsi que la numérotation. Une illustration «hors-texte» en noir et blanc est insérée chaque fois dans la partie centrale du périodique, reproduisant principalement des peintures d’artistes suisses et français proches du mouvement avant-gardiste du début du 20e siècle. Les inserts publicitaires sont très peu présents, n’occupant souvent que la quatrième de couverture. La structure du sommaire s’articule en trois parties aux frontières poreuses. La première d’entre elles est constituée de textes littéraires de prose et de poésie qui occupent environ la moitié de la revue. La volonté de laisser large place à l’expression artistique et à l’autonomie de l’art se reflète dans ce choix formel. La deuxième partie, intitulée «Chroniques», proposent des articles d’opinion sur l’actualité culturelle et politique, ainsi que des textes de critique littéraire. La dernière partie, «Notes», est constituée de textes connotés par leur brièveté et parfois par leur caractère concret, commentant la vie culturelle romande: spectacles, nouvelles publications, prix littéraires, hommages, critique littéraire, communications diverses. Trois numéros spéciaux verront le jour pendant la publication de Suisse romande: «Jeune poètes romands» (N° 3, 2e série, 1938), «L’avenir du fédéralisme» (N° 5, 2e série, 1938) et «Rilke en Valais» (N° 4, 3e série, 1939).


Elisa Conti

Positions

Au-delà de sensibilités artistiques multiples, les collaborateurs principaux de Suisse romande partagent les mêmes principes esthétiques. L’art est considéré comme une expérience transcendante, une révélation d’ordre divin qui touche son auteur dans son intériorité profonde, là où se révèle l’universalité de la nature humaine. Selon cette vision métaphysique, l’art a une valeur morale: il est un antidote contre les déviances humaines et permet de réhabiliter les facultés spirituelles qui sont le fondement d’une action juste et droite. La morale n’est ainsi plus l’apanage des institutions religieuses et politiques établies, mais est investie par les écrivains eux-mêmes. Pour les gilliardiens, l’art est le point de départ d’une recherche d’alternatives face aux valeurs dominantes du monde capitaliste, âprement critiqué par la revue. Le mot n’est pas un ornement, il est la manifestation de l’engagement de son créateur. Les pages de Suisse romande sont traversées par ce souci d’articulation constant entre des enjeux esthétiques de beauté et d’harmonie littéraires et des enjeux éthiques fortement inspirés par la pensée humaniste de Gilliard. Centré sur le libre épanouissement de la personne, son autonomie et son sens de la responsabilité individuelle, cet humanisme fonctionne comme contre-modèle à la culture traditionnelle et conservatrice. La pensée dominante serait coupable d’enfermer l’être humain et de l'empêcher d’être authentique. En rejetant le réalisme et le prosaïsme à succès, cette approche métaphysique se décline de différentes manières dans les pages de la revue et se dévoile dans un langage souvent abstrait, sans pour autant présenter une liberté d’écriture avant-gardiste. Suisse romande privilégie le débat éthique de fond autour de l’art à celui franchement politique au sujet de l’actualité la plus immédiate.


Cette posture se révèlera problématique pour la revue. En effet, à partir des années 1930, les intellectuels européens sont amenés à prendre position face à la montée des régimes totalitaires et du bolchevisme. La notion d’engagement est discutée au sein des cercles littéraires romands et touche également le groupe de Gilliard. C’est durant cette période qu’une frange du réseau gilliardien se politise. De par sa vocation littéraire, centrée sur la production artistique et sa critique, la question se pose pour Suisse romande de savoir comment et quelle place accorder aux sujets d’actualité. A l’instar de Présence, la revue est traversée par une tension qu’elle n’arrivera pas à résoudre. D’une part, elle doit s’adapter au contexte du lectorat romand pour s’assurer suffisamment d’abonnés en proposant des contenus éclectiques et consensuels, publiant parfois des auteurs connus mais aux positions diamétralement opposées à celle de la rédaction, comme Gonzague de Reynold. D’autre part, son directeur Daniel Simond et ses collaborateurs souhaitent faire entendre une voix plus radicale par des prises de position politisées. La ligne commune de Suisse romande est celle de l’antifascisme, de la défense nationale spirituelle et de la défense du fédéralisme. La revue publie parfois des positions très provocantes, à l’image de cet article de Pierre Beausire qui invite le mouvement de réforme personnaliste à se défaire de son idéologie chrétienne au service de l’Eglise, «entreprise impérialiste et capitaliste» dont la raison d’être est le pouvoir (N° 3, 1e série, 1938); ou à celui d’André Muret (N°1, 2e série, 1938), qui dénonce la politique de neutralité de la Suisse qui serait en réalité un «satellite des puissances fascistes». Malgré ces coups d’éclat, de nombreux intellectuels plus ou moins proches du réseau gilliardien reprochent à Suisse romande une certaine mollesse face aux événements graves qui bouleversent l’Europe.


Elisa Conti

Financement

Lors de sa création, le financement de Suisse romande est assuré par l’imprimerie de la Concorde à Lausanne qui en assume l’édition, l’administration et la diffusion. Les risques économiques d’une telle entreprise sont partagés entre l’imprimerie et le directeur Daniel Simond. Ce dernier s’engage par contrat à garantir les 500 abonnements nécessaires à la survie de la revue, et à financer la différence le cas échéant. Le numéro spécial consacré au fédéralisme («Avenir du fédéralisme», N° 5, 2e série, 1938) est en partie financé par un subside de la Fondation Schiller et de la Société des Ecrivains Suisses. En 1939, lorsque la revue se trouve déjà face à de graves difficultés économiques, Pro Helvetia refuse l’aide financière demandée par Simond, qui sera contraint de mettre fin à la revue.


Elisa Conti

Rayonnement

Du point de vue de son rayonnement, Suisse romande présente un profil de périodique confidentiel lié à un cercle de production restreint aux marges de la production artistique et de la critique littéraire officielles. Les tirages de deux premiers numéros de Suisse romande atteignent respectivement les 3500 et 2500 exemplaires. Ce chiffre élevé s’explique par une stratégie de lancement de la revue. Pendant la première année de publication, le nombre minimal d’abonnés nécessaires (500) est atteint, ce qui prouve que Suisse romande répond effectivement à une certaine attente du public, mais son tirage reste limité et destiné à une élite de tradition libérale et progressiste. A partir de 1938, la situation économique du périodique se dégrade et le nombre d’abonnement chute à 322 en juin 1939. Le contexte géopolitique international instable influence certainement le rayonnement d’une revue littéraire qui aborde les sujets d’actualité sous un angle plutôt éthique que politique, et qui se profile davantage comme entreprise éditoriale de témoignage que d’engagement. Le rayonnement de la revue ne se limite pas uniquement à sa diffusion, mais s’appuie également sur une sociabilité intense alimentée en particulier au sein du réseau gilliardien. Daniel Simond s’engage personnellement dans le rôle d’animateur et médiateur de ce pôle littéraire en organisant régulièrement à Lausanne et Genève des dîners et des discussions informelles et amicales ouvertes aux collaborateurs et amis de Suisse romande.


Elisa Conti

Textes programmatiques

«Notre titre peut paraître insignifiant, ou, du moins, d’une signification à la fois vague et bornée. Il isole en effet trois cantons et trois parties de cantons, les abstrait des deux réalités politique et linguistique: la Suisse et la France, dont il relèvent simultanément; il associe des régions assez disparates si l’on considère leur configuration géographique, leurs traditions, leurs ressources, leurs codes; il implique en somme une unité plutôt négative, presque arbitraire. S’il se meut sur le plan politique, le Romand sort de son canton pour parcourir la Suisse entière; s’il veut donner quelque appui aux traditions morales ou sociales de sa cité, il se solidarise avec telle internationale religieuse, politique ou philanthropique; s’il cherche à élever son verbe propre à la puissance d’une langue, il appartient aussitôt à l’univers français.


Créer une revue sur une base aussi indéfinie, n’est-ce pas, dira-t-on, en faire l’objet d’un compromis perpétuel, la vouer à l’incohérence, à l’insuccès? Et quel programme sera capable de concilier des éléments si hétérogènes, voire incompatibles?


Tant de considérations eussent tué dans l’œuf notre dessin, s’il ne se fût précisément agi, au-delà de ce qui sépare, de manifester ce qui unit. Certes, nous sommes divers de traditions, d’idéologies, de convictions, mais ne sommes-nous pas des hommes, qui, proches dans l’espace et dans le temps, respirent le même air, éprouvent des besoins et subissent des maux semblables, traversent les mêmes difficultés, parlent la même langue et doivent, quittes à le faire en pensées ou en actes différents, résoudre les mêmes problèmes?


Notre terre romande est vraiment trop petite pour que chaque cité, chaque école, chaque secte puisse, dans un périodique ad hoc, entretenir de son incomparable vérité quelques adeptes faciles. Entreprises d’ailleurs stériles, qui se condamneraient d’avance à l’isolement et empêcheraient tout échange réel ; surtout subordonneraient la vie au système, l’homme au parti, - et enlèveraient à chaque message l’irrécusable accent d’authenticité et de liberté sans lequel toute parole est vaine.


Cette diversité romande nous offre un véritable microcosme et ne saurait nous décourager : au contraire, elle assure à notre initiative un principe fécond, un objet multiple ; et elle la prémunit contre le grand danger de la monotonie : une revue vivante, ce n’est pas un recueil d’affirmations ou de jugements dictés par une orthodoxie préétablie ; c’est un concert de témoignages humains, le lieu où s’abordent, parfois s’affrontent, sur un ton calme et propre et transformées par les infinies ressources de l’expression, des expériences opposés ; où des hommes, d’opinion ou de sentiment contraires, peuvent apprendre à mutuellement s’écouter et se comprendre ; s’exposent les nécessités communes qui font réfléchir chacun.


Sans méconnaître les efforts, les réussites qui, des Cahiers Vaudois à la Revue de Genève, d’Aujourd’hui à Présence, ont, depuis la guerre, permis à nos écrivains et à nos artistes de dire ce qui leur importait, nous voulons tenter une fois pour toutes de rallier dans une même publication, d’inviter à notre tribune toutes les forces, reconnues ou neuves, que peut compter la Suisse romande; et nous voulons tâcher de persuader de l’opportunité de la haute signification d’un organe de cet ordre un public latent et nombreux qui ne demande sans doute qu’à se laisser convaincre.


Ce public nous est nécessaire, et nous comptons sur lui. Mais il a le droit d’exiger de nous que la largeur de vues que nous professons ici ne livre pas nos pages à toutes les fadaises. Le fait que notre revue est accessible à de multiples tendances postule de notre part, et permet, un choix d’autant plus sévère en ce qui concerne la qualité des œuvres publiées. Nous sommes âprement résolus à écarter les balbutiements et le bavardage, et à réserver cette tribune aux hommes qui, à nos yeux, sachant ce qu’ils disent, savent aussi ce qu’ils engagent. Nous respectons trop la valeur propre du mot, son pouvoir d’expression et d’action, pour nous faire de la langue – comme d’ailleurs de la musique et des autres arts -  une conception ornementale. Nous n’écouterons que la parole éprouvée, - qu’elle manifeste la mesure de la maturité ou le feu de la jeunesse.


Nous nous tiendrons à prudente distance des dissertateurs et des amateurs de débats intimes, stagnants et consciencieux, qui, suspectant automatiquement chez autrui toute grâce, accusent ainsi leur propre pesanteur et favorisent, dans nos cantons, l’épanouissement satisfait de l’ennui, plus qu’ils n’y proposent des œuvres achevées. A celles-ci ira la préférence qui revient naturellement aux actes décisifs et libérateurs: nous réserverons aux poèmes, aux nouvelles, une place que nous espérons aussi pouvoir accorder plus largement un jour, dans nos hors-textes, aux arts plastiques.


Suisse Romande… Il ne s’agit pas de nous limiter, mais de nous situer. Grouper toutes les forces d’ici: tel est notre objet, telle est la raison de notre effort, qui doit nous amener, par delà les différences de tempérament et les divergences de doctrine, à prendre conscience de certaines vertus permanentes et d’une originalité de fait. Mais cette originalité, il convient de la réaliser et de la manifester en fonction de ce qui se passe ailleurs.


La Suisse romande, isolée au centre de l’Europe, est entourée de trois importantes nations entre lesquelles elle peut et doit, aux temps de trouble et d’incuriosité mutuelle, maintenir des échanges, en donnant chez elle la parole à quelques esprits étrangers particulièrement représentatifs. Mais aussi sa liberté critique et son indépendance politique lui confèrent, dans le débat français et européen, une situation distincte, et lui permettent de porter, sur les hommes et les événements présents, un jugement à la fois averti et détaché, de les apprécier à l’échelle, non pas d’intérêts locaux, mais des réalités universelles. Des convulsions sociales ou politiques préparent l’avenir; elles nous concernent aussi; pourtant nous y sommes moins brutalement mêlés que d’autres. Ce recul nous laisse la faculté de jeter sur les faits un regard non pas moins passionné, mais plus vaste, et de maintenir le sentiment des valeurs qu’il est urgent de sauvegarder. C’est dans cet esprit que nos chroniques traiteront de l’actualité et en rendront compte sous ses formes diverses. Et là nous nous ne craindrons pas de dire ce que nous pensons de tout ce qui nous importe.


Aimer notre époque, consentir au multiple visage du présent, en conservant du passé ce qui aide à construire l’avenir, c’est la seule attitude que nous puissions choisir sans nous trahir nous-même, pourvu que nous n’oubliions jamais que la norme de notre action ne saurait être l’intérêt d’une classe, d’une société, d’une patrie, d’une Eglise, d’une esthétique ou d’une pensée déterminée, mais bien l’exigence de celui qui, selon la parole éternelle de Protagoras, est la mesure de toutes choses: l’homme.»


Daniel Simond, «Suisse romande», Suisse romande, N° 1 , 1e série, 1937, pp. 3-6.

Avis contemporains

«Une nouvelle revue de littérature, d’art et de musique paraît sous le titre de Suisse Romande, est dirigée par Daniel Simond et publiée chaque mois à Lausanne. Elle s’adresse à l’élite de nos cantons romands. Ecartant toute espèce de chapelle ou de clocher, elle rassemblera des tendances trop souvent dispersées et présentera l’image de notre vie intellectuelle, artistique et sportive. Cependant, loin de s’enfermer en d’étroites frontières, elle portera aussi sur l’actualité européenne un jugement libre et ouvrira des pages à des écrivains étrangers. […] Le premier numéro de la Suisse romande, fort bien présenté, contient […]. On le voit: ce domaine aussi varié qu’intéressant fait heureusement présager de l’activité future de Suisse romande. A condition, bien entendu, que l’élite à laquelle elle s’adresse lui apporte le modeste concours de ses abonnements sans lequel la plus intéressante revue du monde finit par tomber comme n’importe quelle feuille.»


«Echos», Journal de Genève, 10 octobre 1937, p. 2

Sous-titre
Revue de littérature, d'art et de musique
Périodicité
mensuel
Dates de parution
1 October 1937 - 30 December 1939
Pagination
entre 40 et 60 pages par livraison
Format
in 8
Année de fondation
1937
Lieu d'édition
Lausanne
Rédacteur responsable
Editeur
Imprimerie La Concorde, Lausanne
Imprimeur
Imprimerie La Concorde, Lausanne
Prix
1.20 franc le numéro, 6 francs l'abonnement à une série (six numéros)
Remarque
Trois séries de six numéros mensuels sont publiés entre octobre 1937 et décemebre 1939, pour un total de 18 numéros sur un peu plus de deux ans d’existence de la revue
Pierre BEAUSIRE (1902 - 1990)

Elève d’Edmond Gilliard. Né à Gryon (Vaud), il obtient une licence ès lettres en 1936 et un doctorat sur Mallarmé en 1942 de l’Université de Lausanne. D’abord enseignant dans les lycées et gymnases vaudois dès 1927, il occupe le poste d'assistant à l'Ecole de français moderne à l'Université de Lausanne en 1937. Il est professeur de littérature française à l'Ecole des hautes études économiques et sociales de Saint-Gall de 1938 à 1967, année de sa retraite. A côté de son parcours d’enseignant et d’académicien, Beausire anime plusieurs revues littéraires romandes, en particulier la Revue de Belles-Lettres, Présence puis Suisse romande, dans lesquelles il défend des thèses humanistes. après guerre, il collabore notamment à Suisse contemporaine et Carrérouge. Il est également reconnu pour son œuvre poétique et ses activités d’essayiste et de critique littéraire. Lauréat du Prix Rambert en 1935 et à deux reprises du Prix Schiller, en 1930 et en 1942, et officier des Palmes académiques en 1968.

Elisa Conti

René BOVARD (1900 - 1983)

Journaliste. Après avoir commencé des études de droit (où il tâte aussi de la sociologie et de l'économie politique), il part à Paris deux ans avant de pose sa candidature comme aspirant-instructeur. Peu enthousiasmé par la fonction, il trouve un emploi dans le pensionnat lausannois de sa belle-mère. Avec Henri-Louis Miéville, il organise les Entretiens d’Oron (1936-1949), rencontres d’intellectuels où sont débattues des questions économiques, culturelles, philosophiques, sociales et politiques. Il dirige pendant la guerre la revue Suisse contemporaine (1941-1949) pour répondre aux circonstances du temps. Pacifiste chrétien, objecteur de conscience, il s’investit au sein de mouvements pacifistes durant la guerre froide.

Florence Bays

Georges NICOLE (1898 - 1959)

Né dans le Jura vaudois, il obtient une licence ès lettres de l'université de Lausanne en 1920. Il enseigne le français au collège de Nyon de 1928 à 1959. Parallèlement à son enseignement, il est actif en tant que poète, traducteur et critique littéraire. Il collabore activement pour Présence, Suisse romande et Suisse contemporaine, puis Carreau et Pour l'art.

Elisa Conti

Daniel SIMOND (1904 - 1973)

Etudiant en lettres, bellettrien, il défend Gide et Valéry, et rend compte avant d’autres des théories surréalistes. Dans les années 1930, parallèlement à son métier d’enseignant, il est actif dans plusieurs entreprises littéraires, notamment comme directeur de la revue Suisse romande (1937-1940) et collaborateur influent de Présence (1932-1936) et de Suisse contemporaine (1941-1949). Simond a joué un rôle de médiateur entre différents milieux intellectuels suisses et a entretenu des contacts avec des auteurs français durant la guerre. Il travaille également pour Radio Lausanne. Il laisse des récits de voyages et des recueils de poèmes et d’essais. Son nom demeure lié à celui de la Fondation Ramuz qu’il a présidée de 1950 à 1973.

Florence Bays

Alfred WILD (1899 - 1976)

Ancien élève d’Edmond Gilliard, il partage la cause littéraire de son maître et son esprit anticonformiste. Après une licence es lettres obtenue à l?université de Lausanne en 1921, il enseigne à Aigle (littérature et langues anciennes). Wild collabore – des années trente aux années soixante – avec le groupe d’amis formé par Gilliard, Lachenal, Buache et Beausire aux revues Présence, Traits, Carreau, Carrérouge où il s’occupe d’articles consacrés à la littérature. Wild a aussi été critique littéraire à la Gazette de Lausanne. En 1965, il collabore à la publication des Œuvres complètes d’Edmond Gilliard avec ses amis Lachenal, Beausire, Descoullayes, Moser, Désponde et lui-même publiera deux ouvrages sur la morale et la philosophie. 

Tiphaine Robert

 

Références bibliographiques de la littérature secondaire

  • BAYS FLORENCE et CORAJOUD CARINE, Edmond Gilliard et la vie culturelle romande d'un après-guerre à l'autre (1920-1950): portrait de groupe avec maître , Lausanne : Antipodes, 2010, 365 p.
  • JAKUBEC, Doris, « «Une mosaïque de revues» », in 19/39. La Suissse romande entre les deux guerres, Lausanne : Payot, 1986, pp. pp. 179-204
  • JAQUIER CLAIRE, « «Une esthétique sous contrainte ou les paradoxes du discours esthétique» », in 19/39. La Suissse romande entre les deux guerres, Lausanne : Payot, 1986, pp. pp. 157-264