Cahiers suisses. Esprit.*
Présentation sommaire
Les Cahiers suisses. Esprit (1945-1951), dont le nom marque d’emblée l’identité suisse, s’inscrivent dans le rayonnement de la revue française Esprit créée en 1932 par le personnaliste Emmanuel Mounier. Ses rédacteurs rejettent néanmoins l’appellation personnaliste et désirent travailler sur leur propre champ d’étude: la société suisse qui est alors en crise. Sans se contenter de convictions idéologiques, ils proposent des solutions pour résoudre les problèmes de la société d’après-guerre. Dirigés majoritairement par de jeunes universitaires diplômés, dont Xavier Schorderet et André Rivier, ces cahiers contiennent également des articles signés par des spécialistes qui donnent une assise technique au contenu.
Rebecca Crettaz & Marie Quarroz
Création
C’est à la fin de la deuxième guerre mondiale, dans un contexte tendu au niveau économique, social et politique, que la revue Cahiers suisses. Esprit est créée par André Rivier, jeune doctorant en Lettres de l’Université de Lausanne et membre de la société de Zofingue. Un peu plus âgé, Xavier Schorderet, diplômé en droit de l’Université de Fribourg et chef de service de la Régie fédérale des alcools à Berne, a également joué un rôle important dans le cadre des Cahiers suisses. Esprit. En effet, il en sera le secrétaire depuis le premier numéro daté du 20 novembre 1945 jusqu’au numéro du 23 novembre 1951 qui clôt la parution de la revue. Ces deux hommes sont entourés par de jeunes gens concernés par les problèmes de leur époque et démontrant une certaine ouverture d’esprit dans divers domaines tels la littérature, la politique, l’éducation, la situation nationale ou internationale de la Suisse notamment. Les Cahiers suisses. Esprit sont donc, dans ce sens, une revue carrefour. Ces cahiers s’insèrent, comme leur nom l'indique, dans la mouvance de la revue Esprit créée en France en 1932 par le personnaliste Emmanuel Mounier. Durant l'entre-deux-guerres, mandaté par des groupements estudiantins suisses tels la société de Zofingue ou encore les Belles-Lettres, Mounier avait effectué des tournées de conférences auprès des milieux universitaires romands. Cette tournée avait fait éclore plusieurs groupes Esprit en Suisse, qui s'étiolent pendant la guerre. Le premier numéro des Cahiers suisses. Esprit met en évidence le lien unissant les deux revues tout en manifestant une certaine indépendance. Celle-ci s’illustre, d’une part, par le titre identitaire de la revue et, d’autre part, par ses thèmes principaux : les problèmes économiques, sociaux et politiques engendrés par la crise d’après-guerre. De ce fait, l’objectif sera d’agir activement contre les conséquences de l’économie moderne en proposant des rénovations du système politique et social au profit de l’homme
Rebecca Crettaz & Marie Quarroz
Equipe
L’équipe de rédaction du premier numéro des Cahiers suisses. Esprit est formée par cinq jeunes diplômés universitaires: Xavier Schorderet (1905-1952), André Rivier (1914-1973), Pierre Thévenaz (1913-1955), Georges Anex (1916-1991) et François Bondy (1915-2003). Xavier Schorderet a effectué des études de droit à Fribourg, André Rivier a étudié les Lettres à Lausanne, Pierre Thévenaz la philosophie à Neuchâtel, Georges Anex la théologie ainsi que les Lettres à Lausanne. François Bondy se détache légèrement du lot en étant diplômé de la Sorbonne à Paris. Ces rédacteurs réguliers ont en général écrit dans les deux séries de numéros (1945-1947 et 1948-1951) et sur des thématiques correspondant à leurs connaissances et intérêts.
Afin de légitimer leurs réflexions et de donner du poids à leurs propos, l’équipe des rédacteurs fait appel à divers spécialistes. Ainsi, dans le numéro 4 (série 1), «L’école de nos périls», l’article consacré à la crise de l’enseignement («L'éducateur au seuil de l'ère atomique») est rédigé par le pédagogue Emile-Albert Niklaus. Dans la deuxième série, nous retrouvons également cette volonté d’asseoir techniquement la revue puisque l’article «Deux leviers de la politique économique: la politique fiscale et les dépenses budgétaires» est écrit par Christian Gasser, directeur de l’Institut suisse pour le commerce extérieur. Ces spécialistes ne sont pas choisis au hasard; ils appartiennent en effet à la première génération des groupes «Esprit» et ont été, pour certains, membres de la Ligue du Gothard. Il y a donc une certaine forme de lien intergénérationnel et de solidarité avec les jeunes rédacteurs des Cahiers suisses. Esprit.
Finalement, cette revue bénéficie d’un ancrage fort dans le canton de Neuchâtel. D’une part, le groupe Esprit de la région est bien implanté et bénéficie d'une assise autour de jeunes comme Emile-Albert Niklaus ou Philippe Müller. D’autre part, la maison d'édition, la Baconnière, est basée à Neuchâtel-Boudry. Celle-ci a connu beaucoup de succès pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a notamment édité les Cahiers du Rhône, dirigés par Albert Béguin, qui deviendra directeur de la revue française Esprit après la mort d’Emmanuel Mounier.
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Etapes
Les Cahiers suisses. Esprit paraissent du 20 novembre 1945 au 23 novembre 1951. Lors de la création de la revue, quatre numéros étaient prévus chaque année et, au final, seul sept paraîtront: un en 1945, deux en 1946, un en 1947, deux en 1948 et un en 1951. Ces numéros sont subdivisés en deux séries: de 1945 à 1947 puis de 1948 à 1951. Ces années laissent toutefois apparaître un « trou » de deux ans entre 1949 et 1950, durant lesquels aucun numéro n’est publié. Cet arrêt pourrait s’expliquer par deux facteurs principaux : les rentrées financières ont constitué un problème certain pour les Cahiers suisses. Esprit, et deux de ses principaux rédacteurs, à savoir Xavier Schorderet et Georges Anex, ont pris part à d’autres revues de l’époque. Le premier a en effet fondé la revue Cité humaine en octobre 1949, date coïncidant avec la phase de silence des Cahiers suisses. Esprit, quant au deuxième, il appartient au comité de rédaction de la revue Carreau, fondée en 1949. A ce stade, la subdivision en deux séries demeure pour le moment sans cause certaine, mais pourrait s’expliquer par le fait que la revue a connu un essoufflement de deux ans.
La disparition des Cahiers suisses. Esprit s’inscrit dans un mouvement commun rencontré par plusieurs revues culturelles suisses. Effectivement, Servir, fondée en 1944, cesse de paraître en 1949 ou Cité humaine qui permet à André Rivier et Xavier Schorderet de poursuivre leur action sur un plan civique ne se publie plus dès 1954. Ainsi, les années cinquante semblent marquer la fin d’une réflexion mise en place dans les années trente par les groupes « Esprit ». De plus, la fin de la publication des Cahiers suisses. Esprit s'explique aussi par la disparition de l'un de ses fondateurs, Xavier Schorderet, décédé en 1951. Le contexte politique suisse d’après-guerre a aussi certainement joué un rôle dans l’effacement progressif des groupes et des ramifications liées à la revue française.
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Aspects formels
Les Cahiers suisses. Esprit comptent entre 95 et 149 pages avec une moyenne de 100 pages par volume et ce pour les deux séries. La mise en page et l'allure générale sont assez sobres. En effet, chaque numéro débute par la page de titre qui contient un sous-titre donnant la tonalité du numéro et orientant le contenu de certains articles. Ensuite, figure un avant-propos ou un texte programmatique (sauf pour le numéro 3 de la première série) puis les articles proprement dits sont classés par thèmes. Chaque thématique est illustrée par 1 à 4 articles et, chaque numéro compte 2 à 3 grands articles d’environ 20 pages alors que la majorité font 10 pages ou moins. A la fin de chaque fascicule se trouvent la table des matières ainsi que l’intitulé des articles en préparation. Signalons que le titre indiqué alors comme «en préparation» varie légèrement lors de sa parution.
Deux particularités rompent un cadre formel fixe. Premièrement, le numéro 1 de la série 1 contient des références bibliographiques d’ouvrages publiés aux éditions de la Baconnière. Deuxièmement, le numéro 3-4 de la série 2 comprend 16 planches d'images illustrant un article.
Les sujets traités dans les articles de la revue diffèrent de par leur contenu. En effet, ils passent de la littérature à la situation nationale et internationale. La rubrique mêlant culture et littérature intitulée «Les écrits et les hommes» se retrouve dans chaque numéro de la revue. Cette rubrique mène des réflexions psycho-littéraires à partir de textes d'auteurs connus ou moins connus (Sartre ou Malraux, par exemple) récemment publiés, d'articles déjà publiés (parfois dans les Cahiers suisses. Esprit) ou de conférences. Les articles touchant à des problèmes uniquement internationaux sont assez rares. De fait, la majorité des contributions ont un rapport avec la Suisse et sont souvent classées sous la rubrique «La communauté nationale». Dans cette perspective peuvent s'insérer deux types d'approches. La première est liée à des problèmes concrets du pays au niveau économique ou politique (société d’après-guerre, reconversion de l’économie, rôle de l’Etat et du droit, partis politiques suisses, éducation). La seconde, qui permet de faire un lien avec la situation internationale, est d'ordre plutôt philosophique, avec des réflexions menées au sujet de valeurs humaines ou de principes de pensée. Ainsi, les rédacteurs des Cahiers suisses. Esprit s’avèrent réactifs aux différents événements de l’actualité.
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Positions
De manière générale, les Cahiers suisses. Esprit se réclament être une revue ouverte aux idées et aux personnes qui veulent non seulement réfléchir, mais aussi agir de manière constructive et participative pour lutter contre le «désordre établi». Cette manière d’appréhender la situation de l’époque rappelle la vision personnaliste développée à partir des années trente dans la revue Esprit par Emmanuel Mounier (1905-1950). Entre la vision libérale qui place l’individu au centre de son système de pensée et les courants marxistes ou fascistes qui enrôlent les masses, les personnalistes souhaitent une alternative intermédiaire. Effectivement, celle-ci devrait consister en une idéologie englobant l’individu en tant que tel ainsi que la vie communautaire cadrée par les institutions étatiques. Les membres des Cahiers suisses. Esprit résument ceci en un mot, le communautarisme, qui s'apparente à un mouvement «coopératif».
Paradoxalement, les rédacteurs de la revue Cahiers suisses. Esprit ne revendique pas l’adjectif «personnaliste». En effet, dans le texte programmatique du premier numéro daté du 20 novembre 1945, l’équipe de la revue déclare en parlant de ladite appellation: «le mot a trop servi ; nous ne tenons pas à l’étiquette» (p. 7). Ainsi, les membres des Cahiers suisses. Esprit, au-delà du lien avec la revue française Esprit, revendiquent la particularité de leur action. Celle-ci s’inscrit dans le contexte de la Suisse d’après-guerre qui est marqué par des problèmes économiques et politiques ainsi que par des interrogations quant à la neutralité du pays.
Malgré cette situation, les membres des Cahiers suisses. Esprit revendiquent clairement leur orientation politique et ce dès le premier numéro. En effet, André Rivier déclare que leur action serait à gauche sans «s’interdire l’audience des milieux les plus divers». Cette tendance se ressent au sein des articles de la revue qui contiennent un vocabulaire pour le moins explicite dénotant une attitude critique face à l'individualisme libéral (communauté, régie coopérative, union de la gauche, exploitation de l’homme par l’homme). Toutefois, les membres des Cahiers suisses. Esprit se montrent aussi sceptiques envers la pensée communiste ainsi qu’envers le PDT, parti du travail, puisqu'ils sont conscients des spécificités qu'ils veulent conserver. Selon ces derniers, une idéologie doit, effectivement, avoir des principes théoriques, mais ceux-ci sont utiles seulement dans la mesure où un lien avec une pratique constructive et participative existe. Ainsi, l'Etat fédéral suisse, aux yeux des rédacteurs de la revue, est un cadre nécessaire à l’organisation collective du pays. Il doit aussi s'appuyer sur le collectif des citoyens pour mener une politique d'après-guerre efficace permettant de surmonter la crise tout en responsabilisant les individus. Dans cette perspective, d'après les rédacteurs des Cahiers suisses. Esprit, des volontés de se regrouper au sein d'organisations collectives existent en Suisse dans certains secteurs (l'horlogerie, par exemple), avec la volonté de mieux défendre certaines valeurs communes et propres aux individus.
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Financement
Nous possédons peu d’informations concernant le financement. A ce sujet, nous pouvons seulement formuler des hypothèses (mécénat, participation des collaborateurs ou de l'éditeur, subventions d'un organisme extérieur comme Pro Helvetia etc). La seule certitude est que la publicité, absente des pages de la revue, n'a pas joué de rôle dans les comptes des Cahiers suisses. Esprit.
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Rayonnement
Le dernier numéro des Cahiers suisses. Esprit indique que le nombre d’exemplaires tirés s’élève à 60. Ce chiffre dérisoire signifie que le rayonnement de la revue n’a pas été de grande envergure. En l'absence d’indications sur le nombre d’exemplaires des numéros de la première série, il n'est pas possible de savoir si la revue était partie avec une ambition plus grande, avec une tirage qui se serait rapidement érodé.
Les Cahiers suisses. Esprit n’ont pas été souvent mentionnés dans d’autres revues ou journaux de l’époque. Quelques traces, datant de 1946, évoquent tout de même la création des Cahiers suisses. Esprit. Ainsi l’article «Le bâton dans la fourmilière» qui paraît dans la Gazette de Lausanne. André Rivier promeut quant à lui sa propre revue dans l'hebdomadaire Servir. En dehors de cela, le contenu des articles n’a, à notre connaissance, pas engendré d’échos importants dans d'autres revues de l'époque.
Les Cahiers suisses. Esprit ont constitué une étape pour plusieurs de ses jeunes rédacteurs qui ont ensuite continué leurs carrières respectives, notamment dans les milieux universitaires. Certains, comme Pierre Thévenaz, ont participé à d'autres revues. Ainsi, s’il est possible de relier les Cahiers suisses. Esprit à d’autres revues suisses, il semblerait que ce lien se fasse par le bais des collaborateurs. Cité humaine consacre un numéro entier au secrétaire des Cahiers suisses. Esprit, Xavier Schorderet, qui est également son fondateur. Ce numéro, datant de 1952-1953, s’avère donc posthume. André Rivier, l’autre cheville ouvrière des Cahiers suisses. Esprit, prend part à cette publication en y rédigeant un article.
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Textes programmatiques
«[...] Nous nous réclamons ici du mouvement dont la revue «Esprit», voici bientôt quinze ans, a pris l'initiative en France. Ce mouvement est connu sous le nom de personnalisme. Le mot a trop servi; nous ne tenons pas à l'étiquette. [...] Nous sommes liés aux animateurs de la revue «Esprit» par une amitié et une communauté de vues qui ne datent pas d'hier [...] en particulier par un certain nombre de jugements techniques et moraux sur le présent état de la civilisation moderne, par un même sentiment des valeurs qu'aucun ordre social et politique ne peut répudier s'il veut mériter le nom d'humain. [...] Mais cette fidélité n'exclut pas l'indépendance; elle l'exige au contraire de notre part et nous invite impérieusement à travailler dans la sphère qui nous est propre. […] Nous pensons qu'en Suisse aussi «la révolution du XXème siècle doit être sauvée de ses tentations humaines», et que la percée historique qui se prépare doit frayer la voie non pas à l'homme d'une seule condition, d'un parti ou d'une classe […] mais à l'homme tout entier, responsable et solidaire dans l'aventure commune. […] Il lui faut inventer un style d'action propre, à la fois efficace et humain, à la mesure des conditions qui sont les siennes. […] C'est à cela que nous voulons contribuer, pour notre part qui est modeste. La tâche est immense. Que d'autres s'y attellent avec nous, et tout le monde s'en trouvera bien.»
Cahiers suisses. Esprit, série 1, cahier n°1: De la guerre à l’après guerre, 20 novembre 1945, pp.7-8
«[…] Il n’y a de liberté que de l’homme même. Or, dans de larges secteurs de notre société actuelle, l’homme est encore traité comme un instrument. Chose parmi les choses, il n’est qu’un élément dans le mécanisme de la production économique. Rien ne sert d’invoquer la nécessité ou quelques grands principes. Le fait est que le sort de la liberté se joue partout où l’homme est opprimé dans sa vie quotidienne ; dût-il obtenir par ailleurs des compensations, la raison exige que cette oppression soit levée. […]
On ne peut admettre qu’un pays se réclame de la liberté comme d’un principe universel et ne répudie pas le travail servile. Il y a dans cette inconséquence une source de dissentiments qui ne cesse d’empoisonner le cœur et l’esprit de nos compatriotes. Tant qu’elle ne sera pas tarie, il ne sera pas possible de parler de liberté sans mensonge.
Là est le prix qu’il faut payer sur l’heure. Qu’on ne croie pas que l’échéance puisse être reculée d’avantage. Dans ce cahier, nous en soulignerons surtout les incidences sociales ; nous reviendrons sur les décisions qu’elle impose dans l’ordre économique et politique. En un mot comme en cent, notre pays doit rompre d’abord avec la subversion capitaliste, pour que la possibilité d’être un homme et non pas un instrument ou une chose cesse d’être un thème de prédication, l’objet d’un vœu pie ou d’une promesse hypocrite, mais qu’elle devienne une réalité accessible, une chance positive offerte à tous nos concitoyens. Après quoi seulement, une fois tombées leurs chaînes, il nous sera loisible de leur dire que dans la liberté même, la liberté concrète qu’ils désirent, il est encore difficile d’être un homme.»
Cahiers suisses. Esprit, série 1, cahier n°2: Prix de la liberté, 5 avril 1946, pp.5-6
«L’ampleur et la complexité des problèmes économiques et sociaux actuels incitent beaucoup de nos contemporains à sous-estimer les tâches qui nous incombent dans le domaine de la culture et de l’éducation. […]
Une société douée de cohésion, dont les membres possèdent, au-delà de leurs différences et de leurs oppositions, la conscience d’une solidarité réelle, se donne toujours les élites qui lui conviennent et les institutions qui en assurent le renouvellement. L’école est alors l’un des organes naturels de ce choix et de cette continuité. […] L’école dépend étroitement de la société ; elle est déterminée par elle beaucoup plus qu’elle ne la façonne. Et dans une société divisée, elle se tient du côté des partisans du statu quo ; chargée de tout le passé qu’elle doit transmettre, elle est naturellement conservatrice. Ce qui n’est pas un mal en soi, mais ne laisse pas de rendre problématique l’action novatrice qu’on attend d’elle. Pour qu’elle puisse l’exercer, il faudrait qu’elle envisage l’avenir dans toute sa dimension. Le peut-elle ? On se fait des illusions à cet égard parce que, l’école formant une jeunesse encore disponible, on admet qu’elle va la modeler à son gré. Or elle ne peut donner que ce qu’elle a, c'est-à-dire qu’elle tend à perpétuer dans l’esprit des élèves les représentations qui prévalent chez leurs maîtres. Les uns et les autres, surtout au degré supérieur, se rattachent de près ou de loin aux milieux les plus favorisés, qui ne ressentent guère la nécessité d’un changement. […] Si notre pays ne réussit pas à former une élite ouvrière, s’il ne fait pas sa place, aux divers degrés de l’enseignement public, à une pédagogie de la vie commune, certes il ne fera pas l’économie d’une révolution ; mais comme le fait observer Jeanne Hersch, il risque de compromettre, au seuil des vastes mutations qui s’annoncent, les dernières chances que notre culture a de s’affermir et de se renouveler.»
Cahiers suisses. Esprit, série 1, cahier n°4: L’école de nos périls, 20 mai 1947, pp.5-8
Rebecca Crettaz & Marie Quarroz
Avis contemporains
«Cahiers suisses Esprit.
Ces cahiers publiés malheureusement de manière irrégulière s'efforcent d'appliquer aux réalités suisses la mission de témoignage chrétien et de prise de conscience qu'Emmanuel Mounier assignait à la revue qu'il a fondée. On apprécie le sérieux, l'honnêteté de ces cahiers, on leur voudrait toutefois un certain mordant, une efficacité plus marquée, donc une parution plus fréquente. On voudrait aussi qu'ici comme en France, «Esprit» groupe une équipe, qu'il lance des communiqués de travail, qu'il ait une activité publique et qu'ainsi cet effort «d'enseigner les hommes, au lieu de les caresser ou de les écraser» porte des fruits plus évidents. Mais il n'est point aisé chez nous de fonder une mouvement.»
Journal de Genève, «A travers les revues», 29/30 décembre 1951, p. 4.
Les numéros 3 et 4 de la série 2 sont réunis dans un même volume.
Xavier Schorderet est le secrétaire de la revue.
- Georges ANEX (1916 - 1991)
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Georges Anex est licencié en théologie et en lettres de l’Université de Lausanne. Professeur de littérature française au gymnase de la Cité à Lausanne (1956-1981), il a complété cette activité par l\'exercice de la critique littéraire en donnant au Journal de Genève, de 1966 à sa mort, une chronique bimensuelle. Il apprécie les textes singuliers de Samuel Beckett ou de Jean-Marc Lovay. En 1948, il écrit un article sur la prospection du pétrole dans la revue Servir au sein de la chronique scientifique. Georges Anex est en outre un collaborateur régulier des Cahiers suisses. Esprit.
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- François BONDY (1915 - 2003)
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Né le premier janvier 1915 à Berlin, François Bondy est décédé le 27 mai 2003 à Zurich. Il est l’élève du germaniste Richard Alewyn à la Sorbonne où il obtiendra sa licence en 1940. François Bondy a exercé différent métiers: journaliste, essayiste, éditeur et traducteur. Il fait partie des premiers rédacteurs de la revue « Cahiers suisses. Esprit ». Engagé dans le mouvement européen dès l\'époque de la Deuxième Guerre mondiale, François Bondy fonde, en 1950, à Paris, la revue politique et culturelle « Preuves », qu\'il dirigea jusqu\'en 1969. Revenu en Suisse, il devint rédacteur de la « Weltwoche » (1970-1986) et des « Schweizer Monatshefte » (1975-1991) Il a collaboré à de nombreux journaux et revues, comme « Akzente », « Merkur », « Die Zeit », la « Süddeutsche Zeitung », « Die Welt », le « New York Times », la « NZZ » ainsi que « Servir », revue dans laquelle il écrira plus de 50 articles traitant principalement des relations politiques sur le plan international. En outre, il traduira également les œuvres d\'Eugène Ionesco en allemand. François Bondy a reçu le prix Ernst-Robert-Curtius en 1988.
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- Henri DESCHENAUX (1907 - ?)
- Philippe MULLER (1916 - 2001)
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Philippe Muller (1916-2001), professeur de philosophie et de psychologie, a fait ses études, jusqu’au doctorat ès lettres (1946). Il occupe dès lors un poste de professeur à l'Université de Neuchâtel tout en devenant un collaborateur des "Cahiers suisses. Esprit". Passionné par la philosophie, Philippe Muller a également occupé des fonctions politiques puisqu'il est député socialiste au Grand Conseil neuchâtelois de 1965 à 1973 et conseiller général de la Ville de Neuchâtel de 1973 à 1976. Ayant cessé son enseignement à l’Université en 1982, il poursuit ses recherches et continue à publier des ouvrages jusqu'en 1999.
Rebecca Crettaz & Marie Quarroz - André RIVIER (1914 - 1973)
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Protestant de l’Eglise libre né le 18 mai 1914 à Jouxtens-Mézery, André Rivier obtient sa licence en lettres en 1936 et son doctorat dans le même domaine en 1944 à Lausanne. Entre 1950 et 1951, ce Zofingien passe une année à Oxford. André Rivier enseigne à Istanbul de 1938 à 1941, puis au Gymnase de jeunes filles de Lausanne jusqu\'en 1957. Il sera ensuite privat-docent entre 1947 et 1957, professeur extraordinaire de 1957 à 1965, puis ordinaire de 1965 à 1973 ainsi que professeur de langue et littérature grecques à l\'Université de Lausanne. Entre 1966 et 1968, il occupera le poste de doyen de la faculté des Lettres. André Rivier s\'intéresse aux tragiques tels Euripide ou Eschyle, aux présocratiques ainsi qu’à Hippocrate.
André Rivier sera en outre co-fondateur de la société Esprit dès 1945. Membre des groupes lausannois, il dirigera les Cahiers suisses. Esprit après la guerre. Il a également rédigé plusieurs articles pour la revue Servir.Rebecca Crettaz & Marie Quarroz
- Xavier SCHORDERET (1905 - 1952)
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Après des études de droit à l\'Université de Fribourg, Xavier Schorderet entre à la Régie fédérale des alcools dans les années 1930 et sera nommé, en 1946, à la tête de la section juridique. Après la guerre, il sera secrétaire des Cahiers suisses. Esprit et fondera la revue Cité humaine. Fortement influencé par le personnalisme d\'Emmanuel Mounier, Xavier Schorderet constitue l\'un des plus proches collaborateurs du créateur d\'Esprit en Suisse romande.
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- Pierre THÉVENAZ (1913 - 1955)
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Pierre Thévenaz obtient sa licence en philosophie en 1934 à l’Université de Neuchâtel puis son doctorat en 1938. Il sera professeur au Gymnase de Neuchâtel puis à l’Université de Lausanne. Il est également fondateur des Cahiers de philosophie. Etre et Penser, parus aux Editions de la Baconnière. C\'est en tant que privat-docent à l\'Université de Neuchâtel qu\'il collabore aux Cahiers suisses. Esprit et se lie avec Philippe Müller, un autre rédacteur de cette revue. Passionné par la philosophie, Pierre Thévenaz gardera cet intérêt après l\'arrêt de la revue puisqu\'il sera responsable de la Revue de Théologie et philosophie de Lausanne dès 1951.
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Références bibliographiques de la littérature secondaire
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, Les Amis d’Esprit en Suisse romande (1933-1950) : une réflexion sur les rapports entre la politique et la morale , Fribourg : Mémoire de licence présenté à la Faculté des Lettres de l'Université de Fribourg, 1987, 100 p.
-
, « Néo-thomistes et personnalistes d’Esprit en Suisse romande: convergences et divergences durant l’entre-deux-guerres », in Regards croisés entre le Jura, la Suisse romande et le Québec, Laval : Presse de l’Université Laval, 2002, pp. 237-255
-
, « “Maintenir l’ordre ou le faire?” Présence et dilemmes des personnalistes d’Esprit en Suisse dans les années trente », in Le goût de l'histoire, des idées et des hommes: mélanges offerts au professeur Jean-Pierre Aguet, Vevey : Editions de l'Aire, 1996, pp. 131-151
-
, Histoire politique de la Revue « Esprit »: 1930-1950 , Paris : Editions du Seuil, 1975, 446 p.